Le territoire rural québécois vit une importante transformation depuis les trente dernières années. La diminution marquée du nombre de fermes, l'augmentation de la superficie des exploitations, la mécanisation et la numérisation des pratiques agricoles, le développement de nouveaux types de cultures, la valorisation significative du prix des terres et des quotas : tout cela cause un impact profond sur le patrimoine bâti, les paysages, la vie sociale ou encore la charge physique et psychologique des agriculteurs et agricultrices.
Le Québec a vu 55 % de ses fermes laitières cesser leurs activités en 25 ans. Cette diminution du nombre d'exploitations agricoles affecte ainsi à long terme la démographie rurale et par extension, son poids politique et le tissu social des rangs.
Au Canada, entre 2017 et 2018, le revenu agricole net total a fléchi de 63 %. Alors que le prix du lait a baissé, les dépenses d'exploitation ont augmenté de façon importante, si bien que les tarifs versés aux agriculteurs se retrouvent parfois inférieurs aux coûts de production.
La relation urbains/agriculteurs est malheureusement biaisée puisque la représentation du monde rural se limite généralement aux images diffusées par l’industrie agroalimentaire ou les offices de tourisme qui mettent de l’avant une vision enjolivée et bucolique de l’agriculture. Ainsi, au lieu de présenter les réalités actuelles de l’agriculture, ces acteurs proposent une représentation dénaturée qui maintient les clichés d’une agriculture idéalisée par les urbains : paysages champêtres, production à petite échelle selon des méthodes ancestrales, bâtiments patrimoniaux. Cette image créée de toutes pièces déstabilise les citadins qui s’installent en campagne et amène des conflits avec les agriculteurs en raison de leurs activités qui génèrent bruits, poussières et odeurs.
Les enjeux environnementaux mettent bien souvent à mal la réputation de l'agriculture. Pesticides; contribution de la production animale (surtout bovine) aux changements climatiques; organismes génétiquement modifiés; autant de sujets qui jettent ombrage aux producteurs. Pourtant, même si les urbains portent un jugement sévère sur les méthodes de production conventionnelles, ils réclament toujours un plus grand choix d'aliments au prix le plus bas. À cette contradiction se superpose tout simplement une incompréhension des réalités complexes de  l'agriculture contemporaine, une situation frustrante pour bien des agriculteurs.
S’il existe bien une spécificité au milieu agricole, c’est la notion de transmission. Une ferme n’est pas considérée comme une entreprise capitaliste au bénéfice de son seul propriétaire, mais comme un héritage familial qui se doit d’être transmis aux futures générations. Selon cette logique, la terre n’est pas vue comme la possession d’un bien immobilier, mais plutôt comme quelque chose dont nous sommes temporairement responsables, avant de le léguer à nos enfants. L’explosion récente du prix des terres et des quotas amène la valeur spéculative des fermes à dépasser largement leur valeur de production, complexifiant ainsi cette transmission familiale. Malgré tout, cette conception particulière de la propriété demeure profondément ancrée dans le monde rural.

La pénurie de main d’oeuvre touche particulièrement le milieu agricole. Les horaires atypiques et la rudesse de certaines tâches manuelles rebutent les travailleurs québécois. Une des solutions est l’embauche d'étrangers, guatémaltèques par exemple. Loin de tout régler, cette solution comporte aussi son lot de défis, comme la barrière de la langue. 
En production laitière, plusieurs agriculteurs ont choisi d’automatiser certaines activités, notamment avec la mise en place de robots de traite. Cette solution nécessite toutefois des investissements massifs puisque les robots ne peuvent être installés dans une étable traditionnelle. L’acquisition du système, la construction d’une étable adaptée, et les modifications au système d’alimentation peuvent coûter plus de 1,5 million sans générer d’augmentation des revenus de l’entreprise. C’est pourquoi il est courant que cette transformation majeure de l’exploitation soit accompagnée d’une hausse de la production, qui exige alors un déboursé supplémentaire substantiel pour l’achat d’animaux, de quota et de terres, complexifiant ainsi encore davantage la rentabilité d’un tel investissement.
La mise en place des systèmes de traite automatisés change complètement les pratiques traditionnelles en plongeant les fermes dans le monde du numérique et des données massives. Par le biais d’un collier connecté et de l’analyse individuelle de chacune des traites, un portrait détaillé du troupeau est créé par un logiciel de gestion des données. L’alimentation de chaque vache est ainsi modulée chaque jour en fonction de son rendement et de sa position dans son cycle de lactation. Il est possible aussi de dépister hâtivement des problèmes de santé et de prévenir le vétérinaire lorsque des anomalies sont détectées dans le lait ou à travers le nombre de ruminations quotidiennes.
L'agriculture n'est pas simplement un emploi ou une entreprise c'est un mode de vie. Avec des semaines de travail de 70-80 heures, il serait absurde de tenter de comptabiliser un salaire horaire décent. Mais l'attachement à la terre et la liberté offerte par la vie rurale n'ont pas de prix.
Ce projet est une commande d'oeuvre de Sporobole pour la triennale ESPACE [IM] MEDIA.
Commissaires : Nathalie Bachand et Éric Desmarais